Découvrez notre étude sur les mesures mises en place par les bars pour rendre leur établissement « safe ».

Deux ans après l’explosion de « Balance Ton Bar », mouvement né à Bruxelles dénonçant les agressions sexuelles dans les bars, Privateaser a cherché à faire un état des lieux de la situation en 2023 afin de savoir si ce raz-de-marée avait éveillé les consciences et fait bouger les choses en France dans les établissements accueillant du public.

Rappel des faits

Balance Ton Bar naît à Bruxelles en fin d’année 2021, à la suite de plusieurs témoignages partagés sur les réseaux sociaux qui dénonçaient les agressions sexuelles d’un serveur d’un bar d’Ixelles, en Belgique, sur plusieurs jeunes femmes. C’est suite à cela que Maïté Meeûs, une Belge de 24 ans, décide de lancer un appel à témoignages et de tout publier sur un compte Instagram qu’elle baptise Balance Ton Bar. Le compte recense et publie les témoignages anonymes des victimes et nomme le bar dans lequel a eu lieu l’agression présumée. La majorité des victimes sont des femmes et toutes dénoncent un harcèlement, une agression sexuelle, souvent après avoir été droguées au GHB dans un bar. De nombreux bars bruxellois reviennent souvent dans les témoignages, révélant parfois un mode opératoire bien ficelé de la part des agresseurs.

Il n’a fallu que quelques heures pour que le compte devienne viral et que les messages affluent. Très vite, la vague de témoignages se propage également dans les pays voisins, et particulièrement en France. Le compte Instagram Balance Ton Bar Paris, qui compte près de 40 000 abonné·e·s aujourd’hui, voit le jour à la fin du mois d’octobre 2021, soit seulement quelques jours après la création de celui de Bruxelles.

Les témoignages d’agressions dans les bars se multiplient sur tout le territoire grâce à la création de comptes Instagram par ville. Aujourd’hui, quasiment toutes les grandes et moyennes villes françaises ont leur compte dédié et on dénombre près d’une soixantaine de pages Instagram Balance Ton Bar, relatant des viols, agressions, victimes droguées au GHB à leur insu, commis par des clients ou des membres du staff des bars et clubs.

Cette déferlante de témoignages a rapidement été considérée comme une libération de la parole des femmes que personne ne peut plus ignorer. Elle a mis en lumière une réalité méconnue des risques encourus. Pourtant, certaines voix se sont très vite élevées pour protester contre la mauvaise presse faite aux établissements : le fait de citer le mot « bar » et incriminer les lieux plutôt que les fautifs eux-mêmes a été vécu comme une injustice auprès de certain·e·s gérant·e·s de bars.

L’objectif du mouvement n’était pourtant pas de descendre en flèche la réputation des bars. Ces témoignages avaient pour but de montrer la nature quasi systémique des violences sexuelles dans les établissements festifs, mais parfois aussi l'absence de soutien, de connaissance ou de formation du staff lui-même face à ces sujets. Une prise de conscience à tous les niveaux afin de mettre en place rapidement des dispositifs efficaces pour que la clientèle se sente en sécurité et que l’impunité cesse.

Et maintenant ?

Si les pages Instagram Balance Ton Bar continuent à être actives et à poster régulièrement des témoignages anonymes, les mentalités ont-elles changé aujourd’hui, près de deux ans après l’explosion du mouvement ?

Les dispositifs au niveau national

Au vu de l’ampleur de la situation et du nombre de témoignages, les initiatives se sont multipliées au niveau national, régional et municipal sur le territoire français. Début 2022, le gouvernement a d’abord lancé une campagne anti-GHB dans les bars et clubs partenaires de l’UMIH (Union des Métiers et Industries de l’Hôtellerie). À cette occasion, affiches et flyers ont été distribués et font figurer un QR code permettant d’accéder à un tchat en ligne ouvert 24h/24 et 7j/7 avec un membre de la gendarmerie formé à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Plusieurs régions ont également agi, à l’instar de la région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA) qui a distribué aux bars de la région près de 400 000 couvercles de verre anti-drogue pour lutter contre les substances illicites versées dans les verres à l’insu des client·e·s. Une méthode également choisie par la ville de Tours, qui avait très vite choisi d’en distribuer aux bars et clubs de la ville, en complément d’une campagne de sensibilisation pour lutter contre l’utilisation du GHB.

À Paris, c’est Fêtez Clairs, un dispositif de prévention et de réduction des risques en milieu festif parisien, qui a été mis en avant pour aider dans cette lutte. Officiellement lancé en 2007, le dispositif est co-piloté - entre autres - par la Mairie de Paris et est en lien avec une dizaine d’associations partenaires qui aident aux interventions et actions proposées par le dispositif. Des affiches et flyers téléchargeables gratuitement depuis leur site à disposition des établissements.

Aujourd’hui, une trentaine de bars et clubs parisiens (parmi lesquels le Badaboum, le Supersonic, La Java, Le Jardin 21 ou encore les établissements Rosa Bonheur) sont signataires de la charte Fêtez Clairs et ont été sensibilisés à réagir en cas d’agression dans leur établissement.

Les dispositifs mis en place par les lieux festifs

Si certains établissements ont désapprouvé le choix de nommer les bars dans les témoignages et réagi violemment face aux accusations, beaucoup ont choisi d’agir suite à la libération de la parole des victimes. Affiches de sensibilisation dans les toilettes des femmes, formation auprès d’une association, ou encore la mise en place du « Angel shot » (également appelé « Angela »). Cette méthode, plutôt répandue, se réfère au nom de code à donner au bar si on est victime ou témoin d’une situation compliquée. Il suffit aux client·e·s de demander un « Angel shot » au bar ou simplement demander à parler à « Angela » pour que le personnel de l’établissement puisse agir en conséquence : appeler un taxi ou VTC à la personne, la raccompagner chez elle ou encore appeler la police dans les cas les plus graves. Une méthode née vers 2017 - soit bien antérieure à Balance Ton Bar - et parfois adoptée par les établissements pour renforcer les méthodes déjà mises en place.

Le Froggy, bar situé rue de Lappe à Paris (connue comme étant l’une des rues de la soif de la capitale), avait déjà mis des mesures en place pour le bien de sa clientèle avant l’explosion de Balance Ton Bar. C'est ce qu'explique Oriane, gérante de l'établissement :

« Notre équipe est depuis longtemps composée uniquement de femmes, dont plusieurs ont déjà eu de la drogue glissée à leur insu dans leur verre. Elles savent donc le traumatisme et le danger que cela représente. Avoir un staff féminin est un choix et permet de mettre plus en confiance la clientèle, particulièrement les clientes. Depuis Balance Ton Bar, nous avons surtout changé notre communication : affiches à l’entrée du bar, couvercles anti-drogue pour les verres, et surtout une communication auprès de chaque groupe dès leur arrivée, pour leur dire que le staff est là en cas de problème, formé s’il se passe quoi que ce soit ».

« Nous ne fonctionnons pas avec le Angel Shot par peur que cela s’ébruite et soit utilisé à mauvais escient », ajoute Oriane. « On a donc choisi la transparence en expliquant directement aux client·e·s que le personnel est là s’il y a le moindre souci, et nous n’avons jamais eu de problème pour le moment ».

Côté club, le contexte diffère légèrement. C’est ce qu’explique Christian, gérant du WorkshoW Paris, un club situé au cœur de la capitale : « J’ai toujours mis en place des actions de sensibilisation, bien avant Balance Ton Bar. On est un établissement dansant, un club, un bar de nuit, et c’est malheureusement un lieu qui peut être propice à la consommation de drogues, voire d’actes sexuels durant les grosses soirées étudiantes. La mise en place de moyens de prévention était donc essentielle pour qu’il n’y ait pas de problèmes ».

Si le WorkshoW Paris a adopté le nom de code du « Angel Shot », le bar a également choisi d’afficher clairement à l’entrée du bar une note encourageant les client·e·s à venir prévenir le personnel au bar en cas de comportement suspect, quel qu’il soit.

« J’ai une tolérance zéro sur la drogue dans mon établissement »

« Concernant le GHB (aussi appelé GBL, ndlr), on a remarqué que la drogue faisait changer la couleur des verres en plastique. Celui-ci réagit et devient blanc laiteux si on y a versé du produit, on est donc très vigilant·e·s au contenu des verres ».

Le WorkshoW est l’un des signataires et membres de Fêtez Clairs, dont la charte est affichée à l’entrée de l’établissement. Associé de longue date à l’ENIPSE (association LGBT+ intervenant dans les lieux festifs) le bar dispose d’un stand de prévention et de sensibilisation sur le VIH, les MST et les dangers des drogues est présent à chaque soirée.

« On a de la chance, ça ne nous est pas encore arrivé. Mais dans le milieu, tout le monde a vu la différence entre l’avant et l’après confinement. Les gens sont devenus fous. Par exemple, depuis la fin des restrictions sur les lieux festifs, les seringues sont partout ».

En 2022, de nombreux témoignages de victimes piquées à la seringue dans les bars et boîtes de nuit en France avaient émergé.

D’autres établissements comme le 48 Cocktail Club, le Chope-Moi (Pigalle et République) ou La Planque Paris ont également indiqué avoir mis en place des dispositifs pour rendre leurs bars plus « safe » : formation du personnel, suivi et conseils aux client·e·s en danger, affiches de sensibilisation, couvercles anti-drogue, vigile, « Angel Shot »… Des décisions directement liées à l’explosion de Balance Ton Bar en France.

Les dispositifs proposés par les associations

D’autres associations proposent des formations du personnel des bars et clubs. C’est le cas de l’association Consentis, créée en 2018 sur la mouvance du mouvement #MeToo « par des fêtards et pour les fêtards ». Présente et intervenant partout en France métropolitaine, l’organisation forme les professionnel·le·s des milieux festifs aux questions liées au consentement sexuel, à la prévention contre les discriminations et violences sexuelles et à la réduction des risques liée à la consommation des produits psychoactifs.

Dans un entretien avec à Privateaser, Safiatou Mendy, coordinatrice chez Consentis, explique le cheminement de l’association et ses actions :

« Me Too a mis en lumière la violence sexiste et sexuelle partout. Celle-ci ne sévit pas plus dans les bars qu’ailleurs, mais c’est un cadre particulier : les milieux festifs sont des lieux d’émotion et transgressifs. Il est donc nécessaire d’avoir une réponse adaptée pour savoir comment gérer ».

© Consentis

60% des femmes ont subi des violences sexuelles en milieu festif (contre 10% des hommes seulement)

57% des femmes craignent une agression sexiste ou sexuelle dans un lieu festif (contre 10% des hommes, qui craignent uniquement une agression physique)

Étude Consentis 2018 sur les violences en milieux festifs, menée auprès de personnes majoritairement âgées de 18 à 25 ans

De là, sont nées des formations, ateliers et sensibilisations pour former, à court, moyen ou long terme, le personnel d’un bar ou d’un lieu festif et l’accompagner pendant ses évènements. Les thèmes ? Consommation de produits illicites, comment gérer une personne qui a trop consommé (drogue ou alcool), comment gérer une personne autrice de violences, comment accompagner une victime de violence. Ces formations se concluent par un accompagnement du lieu dans la rédaction d’une charte pour le public : les valeurs du lieu et les actions à mettre en place pour tendre vers celles-ci, et s’y tenir.

Consentis ne fait absolument aucun démarchage. Ce sont les établissements qui contactent d’eux-mêmes l’association et demandent à se former. « C’est très encourageant. Les changements s’opèrent petit à petit ».

En 2021, Consentis avait participé à l’action Safe Bar avec le collectif Nous Toutes et Act Right avec la création d’un kit à destination des bars : flyers, numéro d’urgence, affiches…

« C’était surtout destiné aux lieux festifs en province. À Paris, il y a déjà plusieurs solutions proposées pour ce genre de problématiques », explique Safiatou Mendy. « Ça a très bien fonctionné, beaucoup de lieux ont répondu très favorablement à l’opération Safe Bar. On a vu que les bars étaient demandeurs de ce genre d’actions. Le mouvement Safe Bar est une réponse positive à cette problématique, apportée par et pour les établissements. C’est une action qui complète celle de Balance Ton Bar, qui elle sert à dénoncer ».

Le prochain défi sera celui des Jeux Olympiques, qui auront lieu à Paris en 2024. « Il faut se préparer car ça va brasser beaucoup de gens et les lieux festifs seront pleins. Il faudra l’anticiper », conclut Safiatou Mendy.

Le chemin est encore long dans la prise de conscience mais de plus en plus de lieux s’engagent et comprennent la nécessité d’être formé et pouvoir offrir un espace « safe » à sa clientèle. Cette prise de conscience, qu’elle dénonce avec Balance Ton Bar ou qu’elle forme avec des associations comme Consentis, permet au moins de sensibiliser le grand public et fait bouger les mentalités. Avec cette enquête approfondie auprès de nos établissements partenaires, Privateaser a noté qu’une grande quantité de bars sont en demande d’un encadrement sur le sujet des violences sexistes et sexuelles dans les lieux festifs, mais surtout d’une opportunité de prouver réellement les actions mises en place dans leurs lieux. Une demande grandissante et une volonté positive et encourageante pour l’évolution des mentalités et des actions à mener.

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