Après Covid - Le prix moyen de la pinte de bière en hausse de 9%

Auteur :

Marion Di Meo

Après Covid - Le prix moyen de la pinte de bière en hausse de 9%

Le prix de la pinte de bière a augmenté en moyenne de 9% en France.

Inflation, pénuries, manque de main d’œuvre : comment les bars et restaurants font face à l’après Covid

Depuis quelques mois, l’inflation touche de plein fouet le monde de la restauration en France et en Europe. Ajoutée à la crise sanitaire qui avait durement touché les hôtels, bars et restaurants, au manque de main d’œuvre dans le métier et à la hausse des prix des matières premières, le secteur accuse le coup. Les gérants d’établissements doivent désormais redoubler d’effort pour se maintenir à flot et s’adapter à de nouveaux modes de consommation et de nouvelles habitudes.

Les facteurs

Malgré les aides (Prêt Garanti par l’État) et une reprise plus stable en 2021 et 2022, l’économie du secteur peine à se refaire et différents facteurs de crise sont venus impacter une profession déjà fragilisée.

Le Covid

L’un des premiers coups durs pour la profession a bien sûr été la crise Covid. Considérés comme « non-essentiels » et contraints de fermer durant plusieurs mois dès mars 2020, puis de nouveau en octobre jusqu’en mars 2021, avec de courtes réouvertures sous jauges et couvre-feu durant l’été, les établissements ont vite tiré la sonnette d’alarme sur leur survie, certains gérants alertant que près de 25% des bars et restaurants en France étaient menacés de fermeture.

La main d’œuvre

Problème persistant depuis quelques années, le manque de main d’œuvre dans le secteur de l’hôtellerie-restauration s’est accentué, faisant perdre aux établissements près de 240000 employés entre février 2020 et février 2021 selon l’étude de la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques). Si les clients reviennent peu à peu, c’est le manque d’effectif qui a le plus affecté la profession cette dernière année et a contraint de nombreux établissements à fermer plusieurs jours par semaine durant la haute saison, ou encore à condamner une partie de l’établissement et se priver de nombre de ses clients, faute de pouvoir les servir convenablement.

La pénurie des matières premières, des transports et de l’énergie

Conséquence de la guerre en Ukraine qui fait rage depuis février 2022, les cours du blé, de l’huile et de la farine s’envolent depuis le début de l’année. En raison de l’arrêt des exportations ukrainiennes, le manque survient, la pénurie se crée et les prix s’envolent. Les sanctions prises contre la Russie par l’Union Européenne ont également impacté les transports et obligé de nombreux pays à changer leurs méthodes d’approvisionnement, entraînant des retards de livraison et des surcoûts. De même pour la hausse des coûts de l’énergie, elle aussi due aux tensions entre la Russie et l’Union Européenne.

L’inflation

Pour couronner le tout, l’inflation s’installe. Après 2 ans de Covid, la demande et la consommation ont fortement repris et ont entraîné une hausse des prix. La réouverture des chaînes de transports a été laborieuse et coûteuse et la dépendance aux pays comme laChine et la Russie complique les choses : la demande augmente, l’offre est limitée. Par conséquent, les prix explosent, plaçant le taux d’inflation en France à près de 5,6%.

Le télétravail

La fermeture des bars, restaurants et boîtes de nuit durant le confinement n’a pas été le seul impact sur la profession. Outre les difficultés financières qu’a connu le secteur pendant la crise sanitaire, l’impact sur les sorties s’est également traduit par le décuplement du télétravail, encouragé par l’État pour limiter la propagation du virus.

Pratique désormais généralisée, le télétravail a considérablement joué sur les habitudes desFrançais des grandes villes, particulièrement sur leur fréquentation des bars et restaurants en semaine. Fini le restaurant le midi, fini le café en brasserie après le repas, fini le petit verre, même rapide, après le travail : une baisse de la fréquentation durable liée à des changements d’habitudes.

Quels impacts sur les prix, les gérants d’établissements et les clients ?

Fréquentation et changements d’habitudes

Depuis la reprise de l’après-Covid, le secteur a fort heureusement connu un rebond économique. Les établissements ont globalement connu une bonne saison estivale en terme de chiffres d’affaires (notamment grâce au retour des touristes) et ont pu constater une volonté des Français de re-consommer et profiter d’un été « normal ». Si la saison estivale a été efficace, la tendance s’atténue logiquement depuis la rentrée : après avoir beaucoup consommé cet été, le calme revient avec le retour au travail en septembre.

« Au-delà des phénomènes habituels de baisse de fréquentation selon la saison, d’autres facteurs entrent en jeu : la hausse des coûts de l’énergie, l’inflation... Les Français n’ont plus la même envie de consommer, ce n’est plus leur priorité. La baisse du pouvoir d’achat entraîne invariablement une baisse de la fréquentation. On le ressent fortement depuis quelques semaines », déclare David Zenouda, gérant de plusieurs établissements à Paris etVice-Président de l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie) Paris -Île-de-France.

Paradoxalement et malgré la crise du secteur, la concurrence est assez rude, surtout à Paris et dans les grandes villes.

« De nouveaux établissements fleurissent un peu partout, des établissements avec une identité forte, un concept défini. Le métier s’est développé, de gros groupes financiers investissent désormais dans la création de nouveaux hôtels, de nouveaux restaurants ou bars... (Big Gamma Group, Moma, Paris Society...ndlr). Il y a maintenant une grosse offre mais la demande, elle, n’est pas extensible donc il y a inévitablement une déperdition de la clientèle » souligne David Zenouda.

Baisse des marges et hausse des prix

Même si depuis la reprise, les résultats du secteur ont été plutôt positifs, les gérants sont confrontés à divers problèmes persistants, et la situation des bars, restaurants ou discothèques reste très compliquée, malgré les aides de l’État. Explosion du prix du gaz, utilisé par une majorité de restaurateurs en cuisine, augmentation du prix des céréales utilisés pour la bière servie dans les bars, inflation globale... Les gérants font face à une baisse de leurs marges, liée à différents facteurs cumulés.

Selon une étude de la CPME (Confédération des Petites et Moyennes Entreprises) publiée par l’UMIH datant d’avril 2022, près de 82% des professionnels de l’hôtellerie-restauration disent fortement ressentir la hausse des prix. L’enquête démontre également que 25% des gérants d’établissements ont augmenté leurs tarifs depuis le début de l’année.

C’est ce qu’explique David Zenouda :

« La hausse des coûts occupe l’esprit, bien sûr. Elle concerne les matières premières, mais aussi la fabrication du verre, qui augmente, et les transports. Là où il y a pénurie de marchandises, la demande est très forte et les fournisseurs augmentent inévitablement leurs prix pour s’y retrouver. Par conséquent, les marges des établissements diminuent, et pour s’en sortir, les gérants de bars et restaurants sont eux-mêmes forcés d’augmenter les prix. Sans cette augmentation le risque de travailler à perte est trop grand ».

C’est le même constat fait par la plateforme privateaser.com. Nous avons analysé l’évolution des prix des plus de 1000 établissements travaillant avec nous et avons choisi le prix de la pinte de bière, étalon le plus représentatif du secteur. En 2022, le prix moyen actuel de la pinte de bière s’élève à 5,78€ en province et 7,05€ à Paris : soit une augmentation moyenne de 9% par rapport à l’année 2019 avant Covid.

La hausse des prix, les clients semblent bien l’avoir remarqué, particulièrement chez les jeunes de la tranche d’âge 18-24 ans, plus touchés par la crise et la perte du pouvoir d’achat. « Avant le Covid je n’étais pas du tout branchée bar ou terrasse. C’est post-confinement que j’ai commencé à y aller beaucoup plus souvent. C’est sûrement lié au fait que je ne suis plus étudiante, j’ai un peu plus les moyens d’aller boire des verres dehors maintenant. En revanche, je vois clairement que les prix ont augmenté. J’ai un salaire mais j’ai toujours eu l’habitude d’aller dans les bars les moins chers, et même là-bas le prix de la pinte est malgré tout passé de 3€ à 3,50€. Je continue à y aller parce que je m’en sors financièrement, mais c’est moins régulier. Tout le monde a remarqué la hausse des prix et on ne peut pas tous se le permettre », déclare Marguerite, une parisienne de 24 ans.

Pour d’autres jeunes, il faut donc choisir : « Je vais un peu plus souvent dans les bars depuis la rentrée, mais c’est uniquement parce qu’il me reste encore un peu d’argent demon job de serveur de cet été », explique Gaspard, 21 ans, étudiant à Caen. Il confie que s’il n’a eu aucun mal à trouver un job dans la restauration cet été, ce n’est pas pour autant qu’il fréquente plus ces établissements durant son temps libre : « Je ne vais quasiment plus jamais au restaurant et mange très peu dehors en général, et ça c’est en grande partie une question d’argent. Pour moi, le restaurant est bien plus cher et l’addition grimpe plus vite.Alors à choisir, je préfère dépenser mon budget sorties dans un bar, même si les prix ont augmenté. Avec mes amis, on fait aussi de plus en plus de soirées en appartement pour ne pas trop dépenser. »

Coût du personnel

Au-delà de la hausse des prix, l’étude de la CPME va plus loin en indiquant que la main-d'œuvre, cruellement manquante dans ce secteur depuis le Covid, est aujourd’hui de plus en plus coûteuse.

C’est ce qu’explique Sophie* (*son prénom a été modifié), une gérante deBoulogne-Billancourt, près de Paris : « Depuis la reprise, c’est le manque de personnel qui pèse le plus. C’est très difficile, on ne trouve pas de gens assez qualifiés, et quand ils les ont, ils ne restent jamais longtemps... La nouvelle génération a beaucoup plus de prétentions - salariales et de cadre de travail - qu’avant, ce n’est donc pas facile de trouver et de garder quelqu’un ».

Une nouvelle grille des salaires, adoptée en début d’année 2022, statuait en effet une augmentation moyenne des salaires du secteur de 16,33%. L’accord, conclu entre les syndicats et les patrons, prévoit également une rémunération minimum de 5% supérieure auSMIC. Cette nouveauté force les professionnels à augmenter leurs tarifs pour s’aligner avec cette revalorisation : les frais du personnel représentant en moyenne plus de 30% du chiffre d’affaires de l’établissement. « Pour garder ses employés, ou pour en attirer, les gérants sont forcés d’augmenter les salaires. Aujourd’hui, un chef de rang, de cuisine ou un barman est bien mieux payé qu’avant », ajoute David Zenouda.

S’ajoute à cela le remboursement du PGE (Prêt Garanti par l’État), établi en 2020, que beaucoup d’établissements peinent à rembourser dans les temps. De nombreuses voix se sont d’ailleurs faites entendre par le biais de l’UMIH, demandant à l’État de prolonger l’échéance du remboursement sur 10 ans afin de ne pas mettre la clé sous la porte.

Les possibilités pour l’avenir : la stratégie des gérants

« Quand la marge diminue, les deux seuls moyens dont dispose un gérant sont d’augmenter sa clientèle ou ses prix. Notre marge de manœuvre n’est pas extensible », indique clairement David Zenouda. En effet, les possibilités des gérants ne sont pas nombreuses dans la situation actuelle.

« Les mentalités changent. Avant, il n’était pas rare que dans un groupe de clients, le premier paye sa tournée, le premier verre, une planche... C’est aujourd’hui beaucoup moins le cas. Depuis le mois de septembre, chacun consomme au bar et paye individuellement.Cela m’a obligé à engager un extra derrière le bar pour tenir le rythme, cela me coûte donc plus cher qu’avant », explique Sophie.

Alors quelles options ?

Pour les restaurants, l’un des choix reste de faire évoluer et adapter leur menu pour éviter la hausse des prix de certains aliments. Si ce choix est sans doute le plus simple, il n’en reste pas moins risqué. Si de nombreux gérants adoptent cette stratégie, changer d’espèces de poissons ou de viande peut créer une forte demande sur ces nouveaux aliments, et faire ainsi augmenter leur prix. L’autre solution, plus radicale, est également de changer complètement sa carte et ses produits pour limiter au maximum l’impact sur sa marge et sa clientèle.

Une autre technique, plus risquée quant à la satisfaction client, est de réduire les quantités servies. Si elle permet de ne pas augmenter les prix, cette solution risque de moins bien passer auprès des clients et habitués. Il faut dans ce cas espérer une compréhension de sa clientèle, et prévoir une bonne communication en amont.

Mohamed, gérant du bar Le Katre à Paris, a fait le choix d’augmenter légèrement ses prix : «On a ouvert notre bar en juin 2022, donc nous n’avons pas été confrontés à la crise Covid de ces deux dernières années. En revanche, on s’est vite rendu compte que l’été était calme, trop calme même, et ce constat était partagé par les autres établissements autour de nous. Avec les différentes pénuries et hausse des prix, on a malgré tout fait le choix d’augmenter de quelques centimes certains cocktails et certaines planches ». Pour le moment, la stratégie semble payer : « Nous n’avons pas eu besoin de communiquer, ça s’est très bien passé parce que nos prix étaient de base assez bas. On verra s’il faut de nouveau faire de petits ajustements, selon notre chiffre d’affaires annuel ».

C’est aussi le choix forcé de Sophie et de son équipe : « Nos charges augmentent, nous avons essayé de tenir le plus longtemps possible, mais nous avons été forcés d’augmenter les prix de nos plats. On l’explique à nos clients. Ils sont compréhensifs, mais malheureusement nous n’aurons bientôt plus le choix que d’augmenter les prix de nos boissons également... ».

Si le risque d’un mécontentement des clients est grand en cas de hausse des prix (et parfois déjà constatée par les gérants), certains établissements choisissent parfois une autre technique pour limiter l’impact sur leur clientèle : supprimer purement et simplement de leur carte les plats leur coûtant trop cher. Cette solution est hélas surtout possible pour les restaurants, les bars et pubs pouvant difficilement faire l'impasse sur les boissons comme la bière, pourtant très impactée par l’inflation...

Compter sur les clients et les évènements médiatisés

Concernant la fréquentation des clients cet hiver, Mohamed reste serein : « On est optimiste, ça commence à prendre doucement, on est plutôt un bar “d’hiver”, la saison haute va commencer pour nous ».

Se pose également l’épineuse question du mondial de foot. Au fur et à mesure que l’évènement s’est rapproché, de nombreuses voix ont appelé à boycotter l’évènement et ne pas regarder ou diffuser les matchs. « La question se pose mais ce n’est pas encore tranché», répond franchement Mohamed. « On aimerait ne pas faire de la pub pour cet évènement, mais on vient de se lancer et on ne va pas se mentir, le business peut quand même être intéressant ».

Beaucoup de bars se posent en effet la question malgré la polémique. Au vu de la situation délicate du secteur, de nombreux établissements pourraient en effet choisir de diffuser au minimum les matchs de l’équipe de France.

Pour David Zenouda, pas de débat : « Quoi qu’on pense de cette coupe du monde, la situation actuelle fait que n’importe quel établissement serait fou de refuser de la diffuser.Les bars et restaurants ne peuvent hélas pas vraiment se le permettre, je pense qu’une majorité d’établissements prendra le business là où il se trouve, ce serait hypocrite de dire le contraire. Pour autant, je ne suis pas certain que les recettes seront très bonnes : la majorité des matchs ont lieu dans l’après-midi, à des horaires de bureau, et la compétition a lieu en plein hiver. Pas sûr que cela change grand chose pour nous... ».

Les clients vont-ils continuer à sortir et consommer ?

Dans le panel de gens que nous avons contactés en France, la réponse semble prudente mais encourageante : pas de changement d’habitude pour le moment, mais un sens de la mesure jamais très loin malgré tout.

C’est ce que nous explique Paul, cadre de 40 ans vivant à Strasbourg : « Pour l’instant, ma fréquentation des bars n’a pas tellement changé. Ça dépend des périodes, mais je dirais que je sors dans un bar environ une fois par semaine. Je n’ai pas particulièrement l’impression que les prix ont augmenté, mais je suis un grand amateur de bières et suis donc prêt à mettre le prix pour une excellente bière, même s’il augmente. Mais il n’est pas rare non plus que je fasse des soirées plus posées chez des amis plutôt que dans des bars, quand certains sont un peu plus dans le rouge. »

À Paris, les prix ne sont pas les mêmes et les budgets non plus. Gabrielle, étudiante, cumule les cours et les petits boulots pour rester le plus indépendante possible et aider à financer ses études. « Je n’ai pas changé mes habitudes, mais c’est surtout parce que j’ai toujours fait attention. Je ne sors pas plus mais pas moins qu’avant ! J’ai bien remarqué que les prix avaient augmenté, mais je m’arrange pour toujours aller dans des bars connus pour ne pas être chers, plus focalisés sur la rapidité du service et les prix accessibles »,confie-t-elle.

Côté entreprise, les mentalités semblent avoir évolué, et dans le bon sens. Mathilde, cheffe de projet évènementiel pour Privateaser for Business note un changement encourageant depuis la reprise de l’activité : « Les entreprises sont de nouveau en demande pour réserver un lieu où organiser leur évènement. Il n’y a pas eu de baisse des réservations, au contraire! On sent dans les entreprises une volonté de se retrouver, de faire des soirées, des séminaires avec le plus de monde possible. Même si les entreprises restent vigilantes quant au risque Covid, qui n’a pas complètement disparu, nous n’avons noté aucune baisse de budget sur l’organisation de soirées comparé à l’avant Covid », déclare-t-elle. « Les entreprises sont aujourd’hui beaucoup plus axées RSE (Responsabilité Sociale desEntreprises, ndlr) quant au choix des lieux qu’elles réservent ou des activités qu’elles proposent. Le Covid a très certainement changé les mentalités, mais pas la motivation ».

Sophie, elle, y croit : « Tant que les portes restent ouvertes, on y croit, même si on doit faire attention à chaque centime qui sort. Notre cœur de métier, c’est remplir notre établissement et que nos clients soient heureux. On est un lieu de vie, de plaisir : tant que les clients sont encore là, on sera là aussi. »

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